La Syrie touche du bois

La Syrie touche du bois

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Syria’s players celebrate at the end of their FIFA World Cup 2018 qualification football match against Iran at the Azadi Stadium in Tehran on September 5, 2017. / AFP PHOTO / ATTA KENARE

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Par Sacha Dahan

Publié le

Il ne pouvait en être autrement. Au cœur d’une atmosphère étouffante, l’égalisation miraculeuse de la Syrie est venue du bout de son pied droit, au terme d’un face à face remporté avec plein de sang froid. Comme un symbole, c’est Omar al-Soma, 28 ans, qui, au bout du temps additionnel (90+3), a maintenu en vie les rêves d’une Coupe du Monde en Russie, face à l’Iran, ce mardi (2-2).
Car la panoplie de héros que porte désormais l’attaquant d’Al-Ahli Jeddah, en Arabie Saoudite, lui sied à merveille. Après cinq ans d’absence au sein de la sélection syrienne, al-Soma a rechaussé les crampons de l’équipe nationale, le mois dernier. Cette période sans jouer, il la doit à cette peur permanente d’être catalogué comme soutien du régime de Bachar Al-Assad, ce qui est le lot de tous ceux qui portent le maillot syrien. Comme l’illustration parfaite des problèmes qui touchent la Syrie depuis des années et du contexte sécuritaire aux risques majeurs.

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Un salaire mensuel moyen de 200 dollars

Le premier risque est lié à l’organisation des matchs à domicile, très compliquée depuis le début de la guerre qui a fait au moins 400 000 morts dans le pays depuis mars 2011. Conséquence : la Syrie a été forcée de délocaliser toutes ses réceptions à plus de 7 000 kilomètres de Damas, en Malaisie, depuis un an. Le choix de ce pays du Sud de l’Asie est tout sauf anodin. Grand pays musulman, la Malaisie abrite aussi le siège de l’AFC, l’équivalent asiatique de l’UEFA. Et la Syrie peut remercier son hôte, qui l’aide précieusement dans sa quête d’un billet pour la Coupe du Monde en Russie, en juin prochain, notamment grâce à des aides financières conséquentes pour les joueurs de l’équipe nationale. Surtout quand on évolue dans le championnat domestique, où le salaire moyen n’excède pas les 200 dollars mensuels.


Si certains évoluent dans les pays arabes voisins (Arabie Saoudite, Yémen…) ou en Chine, beaucoup jouent encore en Syrie, qui retrouve mois après mois l’apparence d’un championnat classique sans embûche. Aujourd’hui, les équipes de la ligue nationale peuvent évoluer dans les zones minutieusement contrôlées par le gouvernement Al-Assad, entre Damas, la capitale, et Lattaquié. Même Alep retrouve l’amour du ballon rond, mais cette impression de normalité n’est qu’une vitrine : en coulisse, la Fédération souffre et n’arrive plus à sortir de la profonde crise dans laquelle elle s’est engluée.
Depuis longtemps, le football ne représente, pour ceux qui le pratiquent, qu’un danger majeur. Au moins 38 joueurs des deux premières divisions syriennes ont été tués ou torturés, sans compter les disparus au sein des équipes. Parmi les internationaux, nombreux sont ceux qui veulent au plus s’éloigner de la sélection, du moins à l’intérieur des frontières. Avant un match contre la Chine, en octobre dernier, les joueurs présents lors d’un rassemblement à Damas se comptent sur les doigts d’une main, mais la Syrie, pays en guerre de 23 millions d’habitants, a réussi à vaincre la Chine 1-0, en dépit de son milliard d’habitants et de ses centaines de millions de dollars dépensés pour développer le football. Ainsi, progressivement, tout le pays s’est mis à rêver d’une qualification pour la plus belle des compétitions.

La rencontre face à l’Iran a été diffusée sur des écrans géants, hier à Damas

L’exemple ivorien

La mobilisation fut, au fil du temps, de plus en plus totale. Outre al-Soma, Firas al-Khatib (34 ans), considéré comme le plus grand footballeur syrien de l’histoire, a remis le bleu de chauffe en même temps que son coéquipier malgré ses velléités d’éloignement. Et tout le monde fait des sacrifices, comme Tarek Jabbur, véritable légende de la sélection avec son statut d’ex-capitaine à près de 100 sélections, qui ne gagne que 100 dollars par mois en tant qu’assistant du coach Ayman Hakeem.
L’ancien défenseur central sait mieux que quiconque l’engouement que peut susciter un match de football dans une population souffrante comme celle de son pays. En 1994, Jabbur fait partie de l’épopée qui remporte la Coupe d’Asie U19 en battant le Japon 2 buts à 1. En rentrant de la compétition, une foule de 40 000 personnes en délire l’attendait, toute heureuse, à l’aéroport de Damas.


À l’aune de cette passion des habitants et de la détresse des Syriens, c’est tout une sélection qui se met à croire au rôle fédérateur et pacifique que peut avoir sur eux un billet pour la Coupe du Monde. Personne n’a oublié ces images de Didier Drogba qui, après la qualification de la Côte d’Ivoire pour le mondial 2006, a appelé à genoux, devant les caméras du monde entier, à la paix dans son pays alors ravagé par une guerre civile.
L’espoir est tout ce qu’il reste pour beaucoup, et les scènes de liesse après le match nul en Iran témoignent de ce désir. Qui reste néanmoins lointain. En terminant 4ème de son groupe, la Syrie rencontrera en barrages l’Australie, avant une éventuelle confrontation contre le 4ème de la zone CONCACAF, qui pourrait être les États-Unis.