“On ne veut pas s’arrêter là” : entretien avec Manu Imorou avant Sénégal-Bénin

“On ne veut pas s’arrêter là” : entretien avec Manu Imorou avant Sénégal-Bénin

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Par Julien Choquet

Publié le

"Quand je vais me faire éliminer de la CAN, je sais que je vais me faire vanner sévère... et ça sera mérité"

Vendredi, le Bénin a créé l’une des surprises de cette CAN 2019 en éliminant le Maroc en 8es de finale. Une victoire aux tirs au but inattendue pour les Béninois, qui ont réussi le plus grand exploit de leur histoire en se qualifiant pour les quarts de finale de la compétition. 
Avant de retrouver le Sénégal pour le match de sa vie, le défenseur béninois Emmanuel Imorou nous a accordé un entretien afin de discuter de cette sélection surprise, de Twitter, du Stade Malherbe de Caen et de marabouts. 


Football Stories | Revenons sur votre qualification contre le Maroc. Comment expliques-tu un tel exploit ? 
Emmanuel Imorou | Il y a plusieurs choses. La première, c’est qu’on a confiance en nos qualités. Même si, intrinsèquement, il y a beaucoup d’équipes qui nous sont supérieures, on joue avec nos armes et on ne part jamais perdants. Que ce soit contre le Cameroun, le Ghana ou le Maroc, on n’est jamais entrés sur la pelouse en se disant “ils vont nous tuer.” Et même si ce sont trois grosses équipes, elles ont toutes eu des problèmes contre nous. 
Face au Maroc, on savait qu’on n’aurait pas 75% de possession et 25 tirs cadrés, mais on a joué avec nos forces : un bloc équipe difficile à contourner et une capacité à ne pas concéder trop d’occasions. Et c’est possible parce que chaque joueur travaille pour le collectif. On a vraiment un groupe sain et solidaire. 

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“Ce match contre le Maroc, c’est sûrement le plus beau moment de ma carrière”

Tous les amateurs de Ligue 1 t’attendaient sur la séance de tirs au but face au Maroc. Tu imagines leur déception quand ils ont vu que tu n’allais pas faire partie des cinq tireurs… 
Je ne pouvais pas faire ça, j’ai une conscience (rires). J’aime bien tirer les pénalties à l’entraînement, mais à ce moment du match, ce n’est même pas une option. Le coach m’a posé la question, j’ai dit non direct. Si la séance avait duré, j’y serais allé, mais en aucun cas je n’allais être volontaire, parce que certains sont meilleurs que moi à cet exercice. Et ce n’est même pas une question de pression par rapport à l’attente des supporters : j’avais surtout peur de gâcher l’aventure de tout notre groupe pour un tir au but. J’aurais la haine que mes coéquipiers disent “c’est à cause de Manu qu’on est éliminés, il a cassé notre délire” (rires). 
Tu as pu voir des vidéos de l’ambiance dans les rues du Bénin après la qualification ? 
Oui, j’en ai reçues quelques unes. C’était le feu, les gens étaient tellement heureux. Dans les rues, les Béninois pleuraient de joie, se prenaient dans les bras en larmes, dansaient : ça fait vraiment chaud au cœur de voir ces images. Ça donne envie d’aller encore plus loin. 
Dans le vestiaire, comment avez-vous fêté cette qualification historique ?
Tu vas être déçu, mais on n’a rien fait de fou. On a fait la fête tranquillement dans le vestiaire, et encore je n’étais même pas là parce que j’étais au contrôle anti-dopage. Ensuite, on est allés à l’hôtel et on a reçu le Ministre des sports et des personnes de la Fédération qui sont venus nous féliciter.


Qui est le Kimpembe du Bénin, celui qui met l’ambiance dans le groupe ? 
C’est un jeune qui s’appelle Rodrigue Fassinou. Il n’a pas encore joué, mais c’est un grand malade. Il met la musique et l’ambiance en général parce qu’il veut tout le temps danser, c’est un phénomène. Il résume bien l’état d’esprit de notre groupe. Tous les repas se passent dans un bon délire : ça chante, ça danse, c’est vraiment cool. Même les mecs qui n’ont pas joué sont heureux à la fin des matches et viennent te serrer dans leurs bras. C’est vraiment une ambiance géniale. 
Ça doit te faire du bien  après la saison compliquée que tu viens de vivre avec Caen. 
Oui, vraiment. La chance que j’ai eue, c’est que j’ai enchaîné direct avec la sélection après la relégation en Ligue 2 avec Caen, donc ça permet de ne pas trop broyer du noir. Quand j’y pense, ça me fout toujours les boules. Mais le fait d’être tout de suite concentré sur un autre objectif apporte beaucoup de positif. Surtout quand tu vis une compétition comme celle-là : ce match contre le Maroc, c’est sûrement le plus beau moment de ma carrière. 
Qu’est-ce que ça fait d’être le twitto foot le plus fort actuellement ?
Je ne te cache pas qu’en voyant les tweets après la qualification contre le Maroc, j’ai vraiment beaucoup ri. Et je me prends totalement au jeu : les gens me connaissent, je suis comme ça. D’ailleurs, quand j’ai mis mon dernier tweet sur l’élimination de l’Égypte, je n’ai même pas regardé les mentions parce que je savais que j’allais me faire insulter (rires).

Mais c’est le jeu, il n’y a pas d’animosité. Et quand je vais me faire éliminer de la CAN, je sais que je vais me faire vanner sévère… et ça sera mérité (rires)
Aujourd’hui, tu n’as plus de contrat avec Caen. Ça fait quoi d’être à Pôle Emploi et en quart de finale de la CAN ? 
C’est bizarre, mais je ne réalise pas trop la situation grâce à la CAN. Si j’étais à la maison ou en vacances, je gambergerais toute la journée. Là, ça m’arrive d’y penser, mais c’est rare. Je vais bientôt avoir des vacances pour y réfléchir tranquillement, et on verra bien ce que ça donne. 
Penses-tu que ce parcours avec le Bénin pourrait te permettre de retrouver plus facilement un club ?
C’est possible, mais pour être honnête je n’y crois pas trop. Sans être prétentieux, je pense que les clubs de Ligue 1 ou de Ligue 2 savent qui je suis. Ils n’ont pas besoin de regarder la CAN pour connaître mes qualités et mes défauts. Après, ça peut m’aider pour avoir des touches à l’étranger, mais très honnêtement je ne pense pas à ça actuellement. Je suis concentré à fond avec la sélection, et on verra bien quand tout sera fini s’il existe des débouchés ou non.

“La CAN peut m’aider pour avoir des touches à l’étranger mais je ne pense pas à ça” 

Le Bénin a la particularité d’être quart de finaliste sans avoir remporté le moindre match en 90 minutes (trois nuls en poules et une victoire aux tirs au but en 8es.) Vous comptez quand même gagner un match avant la finale ?
Ça me va très bien comme ça (rires). J’aurais préféré gagner au moins la Guinée-Bissau en poules, mais si on avait pris les trois points ça aurait bouleversé notre tableau. On aurait joué une autre équipe en 8es, et peut-être qu’on ne serait plus là aujourd’hui… Mais en tout cas, si on me dit qu’on va aller en finale en gagnant tous nos matches en prolongation ou aux tirs au but, je prends direct. 
Est-ce qu’on peut avoir le numéro de votre marabout ?
Tu l’as déjà, t’es en train de l’appeler (rires). On a vu les rumeurs comme quoi notre président aurait envoyé 156 marabouts pour nous aider à sortir le Maroc. Sur le papier, c’est marrant, mais de l’intérieur ça nous énerve un peu que certains justifient notre victoire avec cette rumeur, alors qu’on mérite à 100% grâce à notre football. 


En France, un épisode de canicule a fait la une des médias pendant une grosse semaine. Comment sont les conditions en Égypte pour cette CAN ? 
Ici c’est simple : c’est la CAN-icule. On a eu de la chance parce qu’on a joué nos matches de poules à 22h et 18h. Mais ceux qui devaient être sur le terrain pour les premières rencontres de 16h30, je ne sais pas comment ils ont fait. J’ai parlé avec Fayçal Fajr avant le match contre le Maroc. Ils ont joué un match à cet horaire, et le délégué leur a refusé une pause boisson parce qu’il ne “faisait pas assez chaud.” Sauf qu’il faisait quand même 37 degrés : quand tu joues une compétition internationale, c’est n’importe quoi de prendre ce genre de décision.
Malgré cette chaleur, vous allez ramener la coupe à la maison ?
Je ne sais pas si on ramènera la coupe, mais ce qui est sûr c’est qu’on va ramener l’honneur et la fierté à la maison. Et ça vaut toutes les coupes du monde, c’est inestimable. Quand je vois les messages que je reçois, ou les retours que j’ai des gens au Bénin, je sens une réelle fierté de la part de tous envers notre équipe nationale. C’est extraordinaire. Personne ne nous voyait arriver si haut, et on va jouer ce quart de finale contre le Sénégal avec la même mentalité que tous les matches de cette CAN : avec l’envie de gagner. On ne veut pas s’arrêter là.