Il y a huit ans, PNL créait sa légende avec “Le monde ou rien”

Il y a huit ans, PNL créait sa légende avec “Le monde ou rien”

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“Pense pas ma gueule, Dieu est grand, fuck les ténèbres.” PNL, Lion, 2016.

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Par Hong-Kyung Kang

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Retour sur le morceau qui a lancé le duo français.

Combien de personnes peuvent honnêtement affirmer avoir aimé ce morceau dès la première écoute ? Et pourtant, “Le monde ou rien” est aujourd’hui l’un des titres les plus iconiques de PNL. Dévoilé il y a huit ans, ce classique semble résister à l’épreuve du temps tant sa mélodie n’a pas pris une ride.

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Deuxième single de l’album de Le Monde Chico, le morceau a eu l’effet d’une bombe à sa sortie. Le public s’est rapidement pris de fascination pour l’univers si particulier de PNL, dépeint dans “Le monde ou rien”. Un titre qui sonne comme une promesse des deux frères, et ces derniers ne manqueront pas de la tenir : leur légende commence ici, il ne leur reste plus qu’à conquérir l’univers.

Le morceau qui a imposé la patte de PNL

Petit retour en juin 2015. Les fans de rap s’ambiancent sur L’Homme au bob de Gradur, le grand public vient de découvrir Nekfeu avec son premier album Feu, et un certain Niska fait beaucoup de bruit avec son “Freestyle PSG”. Et personne ne connaît PNL.

Si QLF, le premier album du duo sorti quelques mois auparavant, est apprécié par certains connaisseurs, le commun des mortels n’a encore jamais écouté un morceau d’Ademo et N.O.S. C’est dans ce contexte que les deux frères dévoilent “Le monde ou rien”, le deuxième single de l’album à venir Le Monde Chico.

Du jamais vu, ou plutôt, du jamais entendu. Un tempo lent qui va à contre-courant de la tendance que suit le rap français en 2015 en proposant des morceaux agressifs. Des paroles simples, mais dont on a pourtant l’impression de ne pas saisir la profondeur. Et des couplets chantés, portés par des voix autotunées, maîtrisées et assumées.

L’ensemble plane doucement, sans à-coups. La mélodie qui coule de source, la sensation aérienne qui en émane, tout est terriblement addictif. “Le monde ou rien” se révèle être un titre dont le plaisir de l’écoute se décuple lorsqu’il est répété.

Une écriture particulière

À sa première écoute, le morceau déroute. “Président, dans l’hall j’ai vu l’ien-cli voter blanc”, “J’veux pas de câlin, j’suis qu’un glaçon sous string ficelle”… Mais que veulent dire les deux frères ? Des amateurs aux spécialistes, tout le monde s’est essayé à décrypter les paroles de “Le monde ou rien”.

En réalité, ces dernières s’apparentent au texte d’une pièce de théâtre qui perd son intérêt s’il n’est pas interprété sur scène. Dans un certain sens, il n’y a pas vraiment d’utilité à étudier les paroles de PNL indépendamment de la performance dans laquelle elles s’inscrivent. Mais examinons-les tout de même, afin de comprendre leur fonctionnement. Voici le premier couplet, celui d’Ademo :

“J’veux du L, j’veux du V, j’veux du G, pour dessaper ta racli
Igo, on est voués à l’enfer, l’ascenseur est en panne au paradis
C’est bloqué ? Ah bon ? Bah j’vais bicrave dans l’escalier
Président, dans l’hall j’ai vu l’ien-cli voter blanc
Ounga, ounga, ounga ouais, mon gars mon gars mon gars j’sers
Du taga taga à ve-Her, en jaune ou en vert nique sa mère
La famille a faim pas l’temps d’raconter ma life, trêve de balivernes
J’veux pas d’câlin, j’suis qu’un glaçon sous string ficelle
Oh, non mais oh, elle m’a pris pour qui pour Roméo ?
Non mais allô ? Non mais allô ?
J’laisse trace pour transe au WC, en LV totalement pété
J’rentre coke dans les poches, quand p’tit frère part à l’école.”

Chaque phrase de PNL ne doit pas être prise séparément des autres. En effet, les couplets du duo ne suivent pas de développement linéaire : les paroles s’apparentent plus à des flux ou des ondes. Pour faire simple, Ademo et N.O.S ne racontent pas, ils pensent, ils ressentent, ils se souviennent. Très concrètement, le couplet d’Ademo traite d’un sujet précis : sa vie (ses ambitions et ses devoirs). Ce sujet, au lieu de nous l’expliquer clairement, le rappeur nous induit à le comprendre en évoquant divers thèmes : la famille, l’argent, les femmes.

On pourrait se demander quel est le rapport entre la première phrase (“J’veux du L, j’veux du V, j’veux du G, pour désaper ta racli”) et la deuxième (“Igo, on est voués à l’enfer, l’ascenseur est en panne au paradis”). A priori, elles n’ont aucune raison de se suivre. En fait, c’est totalement vrai, ces deux phrases n’ont aucune “raison” d’être associées. Et pourtant, tous les thèmes s’y retrouvent : l’argent, les femmes, l’ambition, les proches (à travers le terme “Igo” et le pronom “on”), et Ademo lui-même, par le biais de la première personne. Deux phrases qui nous font déjà entièrement pénétrer dans l’univers du rappeur.

L’écriture de PNL tient presque d’une forme littéraire appelée le courant de conscience, un procédé qui vise à retranscrire le point de vue cognitif d’un personnage en montrant l’évolution de sa pensée. En cela, la construction du couplet d’Ademo devient tout à fait logique. L’auditeur est plongé dans le bouillonnement intérieur du rappeur : son quotidien est fait d’ambition, donc il évoque l’argent. Lorsqu’il aura de l’argent, il aura des femmes. Mais il ne peut obtenir tout cela à cause de sa condition sociale.

Le temps qui domine le couplet est le présent. Ce présent n’a pas une valeur d’actualité, mais s’ancre dans l’intemporalité : Ademo décrit les choses telles qu’elles ont toujours été. Une idée qui sera reprise plus tard dans la chanson, dans le couplet de N.O.S : “Et rien n’change comme le bruit du gyro.”

Enfin, l’omniprésence de la première personne, ainsi que les adresses directes à la deuxième personne, créent une relation intime entre PNL et le public. Les deux frères se confient, ou plutôt se confessent, et l’auditeur est pris à partie. Le morceau installe donc une ambiance intime.

Une introduction à l’univers de PNL

Outre ces procédés d’écriture, le titre “Le monde ou rien” introduit parfaitement l’univers de PNL, notamment par les références (“J’suis plus Savastano que Ciro”, deux personnages de la série Gomorra), ou les allusions constantes à la bicrave (“Du taga taga à ve-Her, en jaune ou en vert, nique sa mère”, “J’rentre coke dans les poches, quand petit frère part à l’école”).

Le clip de “Le monde ou rien” est par ailleurs le premier à avoir été en grande partie tourné à la Scampia, un quartier populaire de la banlieue de Naples, décor principal de la série Gomorra. Il sera suivi de très près par celui du titre “Gomorra” de SCH, qui sortira quelques jours après. D’autres rappeurs se rendront par la suite à la Scampia pour shooter leur clip, comme Sadek pour son morceau “Napoli”.

En plus du décor, si les visuels du clip de “Le monde ou rien” ont autant marqué les esprits, c’est en grande partie à cause de leur esthétique très simple. Des plans qui montrent le décor urbain, et Ademo et N.O.S, entourés de leurs amis, qui sont posés en bas des immeubles : rien de fou, en somme. Et pourtant, ces images ont un réel pouvoir de fascination tant elles semblent coller parfaitement à l’ambiance du morceau.

“Le monde ou rien” plaît par sa sincérité, il est simple et sans fioritures. L’auditeur ne peut qu’être séduit par toute cette authenticité. Si le titre est encore aujourd’hui un des titres les plus appréciés de la discographie de PNL, c’est parce qu’il cristallise tous les éléments qui forgent l’identité du duo : des mélodies aériennes, un premier degré total dans les mots, et une ambiance générale à la fois pesante et vaporeuse.

On est en juin 2015, et PNL nous fait la promesse de conquérir le monde en se dévoilant avec ce morceau si singulier. La légende peut débuter.