“La solitude, c’est le plus dur”: entretien avec Bérengère Outrebon, épouse de footballeur

“La solitude, c’est le plus dur”: entretien avec Bérengère Outrebon, épouse de footballeur

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Par Julien Choquet

Publié le

Les héroïnes de l'ombre

Quand on pense aux femmes de footballeurs, on a tout de suite en tête ces clichés Instagram postés par les stars du ballon rond, posant avec leur compagne sur un yacht ou au bord d’une piscine. Mais la réalité est souvent bien différente. 
Bérengère Outrebon l’a expérimentée tout au long de sa vie d’adulte, au côté de son compagnon Julien, désormais entraîneur de la réserve du Paris FC après avoir vagabondé en France en tant que joueur. Et entre les déménagements, la solitude et les difficultés d’intégration, elle a eu une idée : monter l’Association d’entraide aux conjointes de sportifs de haut niveau (AECS) afin de rassembler ces femmes souvent catégorisées à tort. Entretien. 


Est-ce que tu peux nous présenter ton association ? 
J’ai créé l’AECS il y a cinq ans, à la suite d’un énième déménagement. À l’époque, j’avais déjà déménagé treize fois et j’arrivais à Toulouse, une ville que je ne connaissais pas du tout. Je suis arrivée dans un environnement dans lequel j’étais quasiment nue avec mon sac à dos, et du coup je me suis dis : “Oui effectivement tu ne sais rien de cette région, mais tu connais des choses sur Paris, Laval, Amiens, et peut-être que tu pourrais aider des personnes qui arrivent dans ces régions.” C’est là que l’idée m’est venue de monter une association. 
Comment l’AECS s’est développée au fur et à mesure du temps ?
Au départ, c’était une simple page Facebook “secrète” : il y avait 6 ou 7 membres, des amies que j’avais laissées derrière après différents déménagements. Au bout d’une semaine on était 80, puis 200 après deux mois, et aujourd’hui on est quasiment 1000 réparties sur les cinq continents. Et il n’y a pas que des conjointes de footballeurs. Des dizaines d’autres sports sont représentés. C’est en voyant à quelle vitesse le groupe grossissait que j’ai senti que cette association répondait à un réel besoin. 
Justement, à quelle problématique répond principalement cette association ?
Pour les conjointes de footballeur, la plus grosse problématique est les déménagements. Pour te donner une idée, j’ai déjà déménagé 18 fois à cause de cette situation. Et à chaque fois que tu bouges, tu as besoin de créer de nouveaux liens, que ce soit sociaux ou professionnels. Quand tu arrives dans une région et que ton conjoint a signé pour un an, tu as besoin de trouver rapidement les choses. Tu n’as pas de temps à perdre, et c’est notre objectif dans l’association, de faciliter cette intégration. 
À force de déménager autant, est-ce que ça devient une habitude, ou c’est toujours aussi dur à chaque fois ?
La chance que j’ai eue, c’est que je ne me suis jamais habituée au luxe de rester au même endroit. Du coup, à force d’être en mouvement permanent, je ne me suis pas rendue compte qu’il y avait des personnes qui vivaient autre chose. Avec du recul, je me dis qu’il y a plein de gens qui vivent 10 ou 15 ans au même endroit, et ça me fascine un peu : c’est une stabilité que je n’ai jamais connue. 
Comment ça se passe pour les enfants ?
Pour eux, c’est parfois plus difficile. Vous leur donnez du rêve avec une année à Fréjus, où il y a le soleil 362 jours par an avec la plage et la piscine, puis l’année suivante vous devez leur dire “bon alors, finalement on va à Amiens !”. Ce n’est pas tout le temps évident pour eux. Généralement, quand on arrive dans un nouveau lieu ils me demandent : “Combien de dodos on va faire dans cette maison ?” C’est là qu’on sent qu’on n’a pas cette stabilité. Mais cette année, c’est la première fois que mes enfants font leur rentrée au même endroit que l’année passée. C’est notre petite fierté (rires)
Combien de temps au maximum votre famille est-elle restée dans une même ville ?
Depuis que je suis avec mon mari, je pense que c’est deux ans. À l’époque, mon mari jouait à Troyes, mais même à cette période ce n’était pas très stable, étant donné qu’il a subi une grosse blessure durant une année. 

On imagine qu’avec autant de déménagements, trouver un travail doit également être quelque chose de très compliqué… 
Souvent, les conjointes de sportifs sont bardées de diplômes mais doivent renoncer à poursuivre dans leur milieu professionnel. Pour ma part, j’ai dû faire trois facs différentes pour finir mon master, et j’avais 1h30 de voiture chaque jour pour rejoindre Caen. Nous habitions Cherbourg, et il n’y avait pas de fac là-bas.
Du coup, pour terminer nos études, il faut être très motivées. Et ensuite, pour travailler en entreprise, c’est tout aussi difficile. Quand j’habitais sur Paris ça allait. J’ai travaillé en entreprise pendant 4 ans, comme monsieur et madame tout le monde. Mais une fois qu’on voit sur votre CV qu’il y a des déménagements à répétition, qu’il faut justifier que vous partiez au bout d’un an ou deux d’une région, les employeurs sont beaucoup plus frileux pour vous recruter.

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Ça n’en devient pas décourageant au bout d’un moment ?
Si, ça le devient parfois. C’est pour ça que la plupart des conjointes essayent de créer leurs propres activités qu’elles peuvent exporter dans différentes régions de France ou du monde. C’est trop compliqué d’avoir un travail fixe pour nous. 
Que ce soit dans les médias, sur les réseaux sociaux ou même dans des séries TV, beaucoup de clichés entourent l’image des conjointes de footballeurs. Ça vous agace ?
Je pense que si les gens voient les conjointes de sportifs comme des femmes superficielles, le cliché qui ressort souvent, c’est qu’il y a une part de réalité. Je ne mène pas de combat pour dire que c’est faux, je pense que ça existe. Là où je veux par contre attirer l’attention, c’est de se dire que peut-être que ce n’est pas 95% des conjointes qui vivent comme des princesses, mais seulement 5%. Pour le reste, il y a beaucoup de conjointes dont les maris gagnent un smic et vivent dans des régions pas forcément flatteuses. 
Dans votre association, il y a des femmes qui font partie de ces 5% justement ?
Oui. Dans l’association, il y a des conjointes qui sortent avec des internationaux français. D’ailleurs, elles n’hésitent pas à venir en aide à celles qui arrivent dans leur région ou dans leur pays. On a également des conjointes dont les maris jouent en National 2 ou National 3 : on ne tient pas compte du niveau de jeu du conjoint, mais des difficultés d’intégration que pourrait avoir la conjointe. 
Ce sont les mêmes difficultés pour toutes ?
Absolument, il y a des difficultés très liées entre les conjointes les plus aisées et les autres. On voit que finalement, le nombre de zéros qu’il y a sur le chèque de votre conjoint n’aide pas à vaincre la solitude. 
C’est vraiment le sentiment le plus fort ? 
Oui, la solitude c’est le plus dur. Et il y a aussi ce rôle que vous avez, à travers l’image que les médias transmettent. Les gens rêvent de votre vie, donc vous n’avez pas le droit de vous plaindre. Vous vivez dans un schéma qui n’est pas simple à vivre. 
Pour finir, quel est le message que vous souhaiteriez faire passer à travers votre association ?
C’est de pouvoir comprendre qu’on a une utilité au delà du rôle qu’on nous donne. L’objectif des conjointes c’est de se révéler, de comprendre qui elles sont, ce qu’elles veulent et ce qu’elles valent, pour porter leur conjoint vers le haut. Elles ont une valeur : elles ne sont pas uniquement dans l’ombre de quelqu’un qui est dans la lumière. On peut aussi avoir une lumière en nous, et c’est le rôle de l’association d’aider ces conjointes à révéler leur lumière.