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24 heures dans un club de Sierra Leone, où le football a su dribbler le virus Ebola

24 heures dans un club de Sierra Leone, où le football a su dribbler le virus Ebola

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Par Max Raby

Publié le

Et si le football faisait parfois office de pansement ou d’exutoire chez des populations touchées par la maladie ou la guerre ? Adepte des terrains à risques où les grenades se substituent au ballon rond, la photographe Tara Todras-Whitehill a une histoire poignante à raconter, celle de sa rencontre avec les joueurs de l’Ebola Survivors FC.
Terre de football mais aussi d’épidémies mortelles, l’Afrique a dû composer avec une tragédie imprévisible lors de la CAN 2015, la faute au terrible virus Ebola. D’abord prévue au Maroc, la compétition prendra finalement place en Guinée Équatoriale. Missionnée quelques temps plus tard par le New York Times afin d’aller constater les innombrables séquelles de la fièvre tueuse en Sierra Leone, la photographe américaine Tara Todras-Whitehill s’est alors rendue au crépuscule de son séjour à Kenema, ville la plus sévèrement touchée et dans laquelle une équipe de foot atypique rayonne de force et d’espoir : l’Ebola Survivors FC.

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Comme son nom l’indique, la particularité de ce club réside dans son effectif, uniquement composé de survivants de l’épidémie Ebola, ayant causé la mort de 11.000 personnes à travers l’Ouest Africain en 2014. À l’origine de cette initiative, Erison Turay, un étudiant de 24 ans qui a vu lui disparaître 38 membres de sa famille. Ce fan invétéré de foot, addict aux maillots de clubs européens, s’évertue depuis à aider les victimes miraculées à se réintégrer dans la communauté via l’amour du football et des matches de charité.
Consciente de la rareté de l’instant, Tara a eu l’occasion d’ėchanger quelques mots avec cette âme charitable et le droit d’immortaliser ces moments socio-sportifs haletants le temps d’une journée. C’est d’ailleurs le dévouement et la bataille de cet homme toujours debout qu’elle illustre avec poigne et en noir et blanc à travers ses clichés :

Le but ultime d’Erison est de casser tous les stigmates persistants attachés aux survivants plus d’un an après la fin du drame. Beaucoup sont considérés comme des parias, on refuse de les toucher, ni même de leur donner un job ou de les laisser entrer dans un magasin. Ils sont perçus presque comme la peste. Véritable bouffée d’air frais, ce club donne l’opportunité de se supporter les uns les autres, de collecter des donations et de réaliser que ces rescapés ne sont plus malades puisqu’ils gambadent et frappent dans le ballon comme n’importe qui.

À l’instar d’une majorité de pays d’Afrique, le football joue un rôle d’émancipation et de fédération considérable en Sierra Leone. Plus qu’un sport, plus qu’un jeu, il est souvent perçu comme une école de la vie. Alors sur le terrain de foot improvisé de Kenema, les vibrations positives sont aussi intenses émotionnellement qu’instantanément perceptibles. Lorsque les joueurs de l’Ebola Survivors FC foulent la boue du stade, en sandales et vêtus de tee-shirts floqués d’un message de soutien, la ferveur des supporters devient frénésie et les rejets du passé s’évaporent comme par magie.

Ce jour-là, de nouveaux équipements et des balles ont été distribués aux joueurs, l’ambiance était joviale, voire bon enfant et l’enthousiasme régnait. Le ballon fusait au rythme des blagues lancées entre participants. Du fun à l’état pur et la foule d’habitants présente pour l’occasion témoignait d’un bon état esprit et d’une communion en passe d’être retrouvée. Je pense que le football rassemble naturellement et je suis persuadé que les communautés qui ont été ravagées comme celle d’Erison, ont besoin de quelque chose comme ça… un fortifiant.

Une équipe féminine survoltée

Plébiscitée pour ses portraits de femmes puissantes changeant la face du monde grâce à leurs actions, Tara Todras-Whitehill s’est extasiée lorsqu’en fin de journée, un match de foot féminin a pris place en guise d’happy end. Conclue aux tirs au but et ponctuée par des cris de joie aigus ou de free hugs à chaque “goal” marqué, cette partie survoltée s’est finalement terminée avec le sentiment partagé que le bonheur peut l’emporter sur la tragédie et que le football en est probablement l’un des remèdes.

Je recherche toujours ce type d’histoires de femmes à l’impact clairement positif dans leur propre vie et dans celle de leur communauté. Photographier cette bande de filles footballeuses, autant intéressées par le jeu que les hommes si ce n’est plus et si concentrées, telles des pros habitées par une vraie rage de vaincre sur le terrain, cela colle parfaitement à ce que j’aime retranscrire au quotidien.

“J’ai vu des matches se jouer dans des environnements bien plus durs”

Photographe documentaire expérimentée après notamment 7 ans au Moyen-Orient, Tara Todras-Whitehill a notamment couvert des événements à risques tels que la révolution égyptienne et libyenne, un terrain de jeu à la fois loin du monde du foot et proche de celui de la rue. Alors même si le “soccer” ne fait pas partie de son ADN culturel américain, son approche du ballon rond est inexorablement lié à des situations de conflits :

La beauté du football, c’est qu’il se pratique partout, il suffit d’une balle et d’un morceau de terrain, n’importe qui peut y jouer mais il est vrai que j’ai souvent vu des matches se dérouler dans des environnements bien plus durs qu’en Afrique comme à Gaza et en Irak. En temps de guerre ou dans un climat sous haute tension,  le foot devient un égalisateur, les kids ou ados de différents groupes se réunissent pour jouer au ballon ensemble dans la rue. En tant que photographe, c’est toujours un moment attendrissant, peu importe où l’on se situe.

Pour l’anecdote, au fil du temps, cette aventurière aussi rusée et maligne soit-elle, a mis au point une technique aussi hilarante qu’imparable afin de briser la glace avec les populations dont elle cherche à vivre le quotidien. Indice ? CR7 et le petit lutin argentin :

Si vous voulez commencer une conversation PARTOUT dans le monde à Gaza, en Irak, ou en Sierra Leone, tout ce que vous avez à faire est de demander à un enfant ou à un adulte qui il aime le plus, Messi ou Ronaldo ? On obtient toujours une réponse et les gens finissent toujours par se rapprocher avec un grand sourire. Les deux sont aussi populaires, c’est du 50/50. Merci à eux, cela me rend la vie plus facile.

Auréolée du 3ème prix dans la catégorie “sport” du Worldpress Photo Contest 2016, la série “Ebola Survivors FC” de Tara Todras-Whitehill est à admirer ici.