On a rencontré Candice Rolland, la seule commentatrice de foot masculin en France

On a rencontré Candice Rolland, la seule commentatrice de foot masculin en France

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rolland (candice)

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Par Lucie Bacon

Publié le

“Personne ne m’a mis de bâtons dans les roues, à chaque fois j’ai été écoutée, entendue et poussée.”
Le titre de cet article est un peu mensonger. Car je l’avais déjà rencontrée, Candice. Quand j’ai commencé à travailler juste après mon école de journalisme, j’ai débarqué à L’Équipe 21, le nom de La chaîne L’Équipe à l’époque. J’étais pigiste sur des tranches horaires définies, et la plus récurrente pour moi était celle de la journée, en semaine, pour travailler sur l’émission “Menu Sport”. France Pierron présentait, Candice Rolland éditait. On n’était presque qu’entre femmes, dans un milieu assez masculin. Et tout se passait très bien, Candice et France étaient extrêmement bienveillantes et pro, et j’ai compris grâce à elles que c’était possible de bosser dans un milieu parfois assez misogyne, il faut le dire, et réussir sans se mettre des barrières. Depuis, je suis partie de L’Équipe, France y présente toujours des lives ou des émissions et Candice commente des matches de foot. 
Il y a deux semaines, Denis Balbir s’est fait remarquer pour une sortie médiatique inattendue en 2018. Il a le droit de penser que des femmes n’ont pas le droit de commenter du foot, mais le dire en promo, c’est absolument délirant. Plutôt que de parler de ceux qui ne font rien avancer, j’ai repensé à Candice, à sa bienveillance et à sa détermination. Elle est aujourd’hui la seule journaliste en France à commenter des matches de foot masculin. Quatre ans après, on a donc parlé de voix aigüe et des femmes dans le milieu du foot autour d’un délicieux croque-monsieur. 
Football Stories | On imagine que tu n’as jamais été aussi sollicitée que ces derniers jours après la polémique sur les propos de Denis Balbir ? (Le commentateur de M6 a fait savoir qu’il était contre le fait que des femmes commentent un match de foot car leur timbre de voix n’est selon lui pas adapté, ndlr)
Candice Rolland | Tu imagines bien, effectivement. En fait, c’est parti très vite, puis on m’a demandé de réagir, et j’ai dit “ouh la la surtout pas” ! Je savais que ça allait me dépasser, et mes chefs m’ont dit de ne rien dire et ça m’allait bien de ne pas réagir. Tout ce que j’aurais pu dire, ou le moindre like sur Twitter, car beaucoup de gens me soutenaient et me complimentaient, ça aurait pu être mal perçu. Moi, je reste à ma place. Sur les conseils d’Estelle (Denis, journaliste également pour La chaîne L’Équipe, ndlr), il y a eu des petits tweets rigolos, mais je m’en suis tenue là. Je n’ai pas trop regardé mon téléphone pendant 2 jours, j’ai préféré laisser passer.


Après, pour les propos de Denis Balbir, comme je l’ai dit, je n’ai pas été choquée car je pense que beaucoup de personnes le pensent mais il ne l’a pas formulé de la manière idéale, il n’y est pas allé avec des pincettes. Il peut penser ce qu’il veut, et je ne suis pas d’accord, c’est normal, je ne peux pas être d’accord, mais je ne voulais pas aller plus loin que ça.

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“Quand un homme va juste crier et ne pas avoir de mots parce qu’il est surpris sur un but, nous, on aura préparé, et on le fera différemment”

Est-ce que tu ne crois pas que ce qu’il a dit, beaucoup de personnes dans les rédactions le pensent également sans le dire ouvertement ? 
Pour le coup, je pense effectivement qu’il a formulé quelque chose que beaucoup pensent et que peu osent dire. Après j’espère, et je ne suis pas seule, que les filles qui commentent prouvent que c’est possible et que c’est un faux débat. Alors oui il y aura plus de propension pour une fille à monter dans les aigus, mais il faut aussi que ces personnes qui pensent que ce n’est pas possible arrivent à imaginer qu’on va le faire différemment d’un homme. Quand un homme va juste crier et ne pas avoir de mots parce qu’il est surpris sur un but, nous, on aura préparé, et on le fera différemment. Je ne dis pas qu’on le fera mieux, je dis qu’on le fera différemment, et on ne sera pas dans les aigus car nous aussi ça nous insupporte, on a les mêmes oreilles !  
Justement, quand tu as commencé à commenter, comment as-tu travaillé ta voix ?
Je viens de la radio, donc la voix je l’ai préparée en fonction de la radio, avec la respiration, et en travaillant la tonalité. Ça tu le fais de manière posée, mais après tu as l’incertitude du match, les surprises qu’il t’amène, et à la limite il faut prévoir l’imprévisible, le surprenant. Du coup, tu sais que dès que tu es surprise, il faut que dans ta tête, tu te dises “bon il faut que la voix parte différemment”, tu habitues ton cerveau comme ça. Quand je prends l’antenne ou le micro, je n’ai pas du tout la même voix, donc dès que ça s’accélère, je sais que je vais utiliser ma voix différemment. Ça fait plusieurs années que j’en fais, donc j’ai une palette, et instinctivement je vais aller sur la voix qui est adéquate. S’il y a un énorme but, je peux le commenter différemment d’il y a deux ou trois ans par exemple. On cherche toujours à être le plus audible et le plus agréable possible.
Est-ce que tu écris des buts, des formules, des images ? 
Ça m’est arrivé de me dire “tiens si lui marque…” Mais en fait tu oublies, parce que tu es tellement dans l’instant du but que tu oublies ce que tu avais prévu. Et puis de toute façon ce n’est pas naturel. C’est quand tu es spontanée que c’est le mieux, donc si tu fais des belles phrases et que ça fait trop téléphoné alors que tu n’attendais pas le but, ce n’est pas possible.
Tu t’es inspirée de certains commentateurs, ou de leurs formules ?
Je ne peux pas te donner un nom, parce que la forme du commentaire m’a beaucoup demandé de travail, donc je ne pouvais pas m’appuyer sur ce que faisaient les hommes. C’est un voix différente, ils peuvent faire des choses que je ne pouvais pas faire donc ça ne sert à rien de les copier. Pour les formules, ça m’arrive de repérer les tics car chacun a un peu la sienne, mais j’espère que la personne qui l’a sortie l’a fait de façon spontanée, car plus tu vas préparer une formule, moins elle sera efficace.
Tu as repéré des défauts chez toi ? 
Je dis beaucoup “allez”, “attention” ou “encore une fois”.
Comment tu travailles là-dessus ? 
Je me dis “bon ben je m’en veux” et j’essaye de faire gaffe les fois suivantes.
Tu te réécoutes ? 
Non, je n’aime pas ça. Je me suis vue à Quotidien, c’était infernal. Ce n’est pas bien, il faudrait que je me réécoute, mais je suis très critique envers moi-même, je pourrais aller dans l’excès. Je vais accorder plus de crédit à ce que les gens vont me dire qu’à ce que je pourrais penser de moi. 


Tes consultants à chaque fois sont des hommes, ça se passe bien ? Ça ne les dérange pas eux de commenter avec une femme ?
S’ils sont là, je pense que ça ne les dérange pas (rires).
Yoann Riou a la voix plus aigüe que toi parfois…
Ça j’imagine ! Je n’ai pas forcément de nom ou quoi, mais je pense que pour certains, il y a eu une curiosité sur le fait de commenter avec une fille au début, mais ils sont revenus, donc je les ai fait changer d’avis peut-être. Personne ne m’a dit qu’il n’avait pas envie de commenter avec moi en tout cas !

Cette saison, tu peux nous expliquer ce que tu fais sur La chaîne L’Équipe ?
Je commente les grandes soirées Ligue des Champions, très souvent les grandes soirées Ligue 1 le dimanche aussi, et je suis sur les dispositifs Ligue des Nations et matches amicaux (la chaîne a récupéré les droits de la Ligue des Nations, ndlr), une fois par mois. On fait des déplacements aussi, donc ça change la façon de commenter, on ne va pas s’en plaindre, on a les images.
Peux-tu revenir sur ton parcours, comment en es-tu arrivée là ? J’ai l’impression que tu as eu beaucoup de culot, notamment à RTL ?
Alors ça c’est drôle, parce que “culot” c’est un mot qui ne me correspond pas, je trouve ! 
Parce que j’ai lu que tu avais dit que tu étais disponible pour commenter dans des rédactions, donc que tu aimerais pouvoir le faire ! 
Ça c’est vrai, mais il fallait me voir le dire, ça faisait petite fille au fond de la classe ! Bon je n’étais jamais au fond ! J’ai fait du droit, une école de journalisme et pour mon stage de fin d’études, je me suis retrouvée à RTL-L’Équipe, radio sur internet à Paris. J’avais un pied à RTL, un pied à L’Équipe, et comme c’était une radio 100% sport, on était jeunes, on sortait tous de l’école, on nous avait laissé faire. On a pu grandir à une vitesse folle, car on pouvait tout faire. Je suis arrivée pour les jeux de Pékin (2008, ndlr), je pensais faire des flashs, mais on commentait de tout au final, le championnat anglais, du rugby, etc. En fait, pendant les études, je trouvais qu’il fallait que je cache que je voulais faire du sport, un peu moins la dernière année d’école. Là, j’ai pu enfin exprimer ce que je voulais faire, et moi je voulais commenter. Mais je ne suis pas arrivée en disant “je suis là, je veux commenter”, je suis allée dire (elle prend une petite voix) “voilà j’aimerais si possible, si vous voulez bien, mais ne vous sentez pas obligés…” et fin septembre, donc même pas deux mois après, ils m’ont donné ma chance sur Strasbourg-Nîmes en L2, c’était en 2008. 
Il y a 10 ans !
Bon ça va !!! 
Ce sont tes 10 ans de carrière Candice… Et c’était déjà du foot masculin ! 
Oui ! À 98%, c’est ce que j’ai commenté. 
Et à L’Équipe, comment ça s’est passé ? 
Là c’est pareil, j’ai commencé à L’Équipe TV en tant que rédactrice puis chef d’édition, puis la chaîne a changé. Mais même avant qu’on ait des droits, moi je commentais sur Orange et RTL et j’avais dit que j’aspirais à commenter sur L’Équipe. Comme on avait rien à l’époque, on m’avait dit qu’on ne pouvait pas me le garantir, mais si on a des droits, ok, pourquoi pas. Il y a eu moult changements de chef puis quand est arrivé le foot russe, j’y suis retournée, et j’ai dit (elle reprend sa petite voix) “alors voilà je voulais juste te voir pour te faire part de mon désir de commenter”.
Mais ça c’est culotté, car toutes les femmes ne le feraient pas ! 
Mais c’est ça qu’il faut faire ! Et c’est ça qu’il faut changer aussi ! Donc sur le foot russe, j’ai été dans la boucle tout de suite, et après quand on a lancé les grandes soirées, j’ai été la première surprise mais j’étais aussi dans la boucle. La chaîne a grandi, j’ai grandi avec et maintenant, on fait des matches internationaux. Mais oui je suis d’accord, pour l’instant je pense que dès qu’une fille veut faire du sport, c’est plutôt de la présentation ou du bord-terrain, et je ne sais pas si elle pense que peut-être elle aimerait faire du commentaire. Après dans ce métier comme dans beaucoup, il faut formuler ce que l’on veut. Je ne suis pas une grande gueule, j’ai toujours peur de déranger, donc je me suis fait violence pour aller voir les chefs et leur dire. 

“Je ne pense pas qu’il y aura une parité, je pense qu’on prendra le pouvoir !”

Tu sens que tu es une pionnière ? Est-ce que tu penses que dans 20 ans, des femmes te citeront comme aujourd’hui on cite Marianne Mako
Je ne pense pas du tout !
Est-ce que des jeunes filles t’écrivent pour te dire que tu les inspires ? 
J’ai des gentils messages, et j’en ai peut-être eus dernièrement mais je ne les ai pas lus.
Beaucoup de personnes ont parlé de toi après la polémique Balbir. 
Oui, mais il y a eu des débats et beaucoup disaient qu’il n’y avait pas de commentatrices de foot. Même dans notre milieu, on n’est pas très connues. Après, on est une petite chaîne, et ce n’est pas présomptueux ce que je veux dire, mais ceux qui regardent L’Équipe, ils nous connaissent plus que certaines personnes du milieu. 
Justement, on parle beaucoup de misogynie dans le sport en général, mais ce milieu des médias est aussi assez misogyne… 
Des personnes misogynes oui, il y en aura toujours dans des rédactions de sport, mais est-ce que c’est seulement dans notre milieu ? Non, c’est dans la société tout court. Mais je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui m’a dit “tu es une femme, tu ne vas pas commenter, tu rigoles ou quoi ?” et qui était décideur. Personne ne m’a mis de bâtons dans les roues, à chaque fois j’ai été écoutée, entendue et poussée. Quand tu as RTL, Orange puis L’Équipe qui te font confiance, ça te donne de l’assurance ! 
Est-ce que tu penses qu’il y aura du plus en plus de femmes commentatrices ? Je ne dis pas qu’une parité pourrait être possible, mais est-ce que tu penses que les femmes vont désormais être mieux acceptées, même par leurs confrères ? 
Je suis d’accord avec toi, je ne pense pas qu’il y aura une parité, je pense qu’on prendra le pouvoir ! (Elle rit) Mais oui évidemment , ça va tellement dans le sens de tout ce qui se passe dans cette société, bien sûr qu’il y en aura de plus en plus. Le seul message que je veux passer c’est qu’il ne faut pas en mettre parce que ce sont des femmes. Mettez-les car elles sont compétentes ! Car il y en a ! Après à nous aussi d’aller juste exprimer nos envies. Il n’y a pas assez de femmes dans les postes de direction aussi, mais oui on sera plus nombreuses, ça c’est clair.