“Ils représentaient la relève” : Maxime Masson raconte 1987, la génération sacrifiée

“Ils représentaient la relève” : Maxime Masson raconte 1987, la génération sacrifiée

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© Olivier Prevosto / Icon Sport via Getty Images

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Par Abdallah Soidri

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"Ils sont tous liés à vie par cette épopée."

Le samedi 15 mai 2004, l’équipe de France de football remporte le championnat d’Europe des moins de 17 ans face à l’Espagne de Gerard Piqué et Cesc Fàbregas. Ce jour-là, on découvre la génération 1987, l’une des plus talentueuses de l’histoire de ce sport, à qui l’on promet les futurs succès de la sélection. Mais la génération Costil, Ducasse, Yahiaoui, Nasri, Ben Arfa, Menez et Benzema n’a jamais vraiment répondu aux très lourdes attentes placées en elle.
Alors que beaucoup de choses ont été dites et écrites sur ces ex-futurs cracks – souvent en mal à mesure que les années passaient –, l’auteur Maxime Masson dresse dans son livre 1987, génération sacrifiée un portrait dépassionné de cette équipe en donnant la parole aux principaux acteurs. Ils reviennent pour la plupart sur cette épopée merveilleuse du championnat d’Europe mais aussi sur les galères du foot business qui ont suivi et en ont broyé plus d’un.


Konbini Sports | Comment est né le projet du livre ?
Maxime Masson | J’avais cette idée depuis bien longtemps. Je trouvais qu’il y avait un manque de travail journalistique sur cette génération, et je voulais qu’il y ait une dimension humaine dans le livre, pas polémique. Il a fallu que je contacte tous les joueurs de cette génération pour avoir le bouquin le plus étayé possible.
Avant de te lancer dans l’écriture du livre, quelle vision avais-tu de cette génération ?
Je l’ai toujours vue comme une génération hybride, hors du temps. Elle ne l’est pas en fin de compte, mais on remarque sur plein de points un avant et un après 2004. J’avais 12 ou 13 ans quand ils sont devenus champions d’Europe, et c’était des génies pour moi. C’est d’ailleurs comme ça qu’ils étaient présentés dans les médias.
Tu as rencontré des difficultés à les faire parler de cet Euro et de leur expérience avec l’équipe de France U17 ?
On parle de certains sujets mais sans être putassier. J’ai essayé de contrebalancer quelques points avec des avis extérieurs. Je voulais vraiment ouvrir le débat et qu’il n’y ait pas qu’un seul son de cloche, sans raviver les clichés pour autant. Une fois que j’ai eu un ou deux joueurs, ils ont joué les VRP pour les autres.

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“Il n’y a aucune équipe qui était collectivement aussi mature et forte à leur âge en équipe de France.”

Qu’as-tu appris en travaillant sur cette équipe, sachant que beaucoup de choses ont déjà été dites et écrites dessus ?
J’ai compris à quel point le milieu du football est compliqué. On peut avoir tout le talent du monde, il faut aussi un brin de chance : une opportunité qui se présente au bon moment, un coach qui te fait confiance, un transfert qui se passe bien, un agent qui te place dans le bon centre de formation ou le bon club. Je n’avais pas conscience que ce sont dans les tout petits détails que se jouent les grandes carrières.
Comment expliquer que cette équipe a généré autant de fantasmes dans le foot français ?
Ils étaient trop forts, à toutes les lignes. Il n’y a aucune équipe qui était collectivement aussi mature et forte à leur âge en équipe de France. J’ai revu les matches de l’Euro U17, et quand ça déroule, ça déroule sévère. En deux ans, leur nombre de défaites se compte sur les doigts d’une main. C’est logique qu’il y ait eu cet emballement, ils représentaient la relève. On sentait que la génération 98 commençait à partir en cacahuètes après l’échec de 2002, et l’Euro 2004 se profilait sans garantie de conserver notre titre. On pensait qu’après la génération Zidane, qui a installé la France sur le toit du monde, celle de Nasri, Ben Arfa, Yahiaoui, Costil allait nous ramener une deuxième étoile. Mais on en a trop fait, les médias comme le public, avec de grosses attentes.
Quelles étaient les forces majeures de cette équipe ?
Il y avait deux immenses leaders durant le championnat d’Europe : Steven Thicot et Samir Nasri, un défenseur et un milieu. Il y avait aussi des indéboulonnables dans l’équipe : Benoît Costil, Thomas Mangani à gauche, qui formaient une excellente paire avec Nasri, le duo Ducasse-Yahiaoui inamovible, et il était impossible de bouger les deux de devant, Jérémy Menez et Hatem Ben Arfa.


Plus de quinze ans après leur victoire à l’Euro face à l’Espagne, qu’est-ce qui reste de la génération 87 ?
Ils sont tous liés à vie par cette épopée, et aussi par leur lien avec leur sélectionneur Philippe Bergeroo, qui a été leur phare. Ils ont tous une tendresse les uns pour les autres, bien qu’ils ne soient pas tous grands potes. Mais comme dit Gradur : “Touche à un membre de ma clique et tu verras qu’on n’est pas tout seuls.” Quinze ans plus tard, c’est toujours ça. Steven Thicot, en grand capitaine, ne laisse rien passer sur les réseaux : il n’y a pas un mec qui a le droit de critiquer Karim Benzema. Il éteint les polémiques. Il représente encore aujourd’hui l’âme de cette équipe.
Parmi les joueurs de cette génération, Karim Benzema est justement celui qui a eu la meilleure carrière, alors qu’il n’était pas titulaire en 2004. Comment expliquer que les autres, notamment ses compères d’attaque, n’aient pas eu la même réussite que lui ?
Karim Benzema est un bourreau de travail. Il a toujours bossé plus que les autres pour dépasser tout le monde. Dans un chapitre du livre, il dit à Steven Thicot : “Je suis derrière Nasri, Ben Arfa et Menez, mais un jour je finirai devant eux.” Et il l’a fait. Au-delà de la génération 87, c’est l’un des très rares joueurs de foot à ne pas avoir fait une seule erreur dans sa carrière de club. On peut lui reprocher plein de choses mais en club, aucune erreur en quinze ans. C’est celui qui s’est le plus sacrifié en tout point pour réussir.

“Il n’y a pas un mec qui a le droit de critiquer Karim Benzema.”

Le problème avec les trois de devant (Nasri, Ben Arfa, Menez), c’est que leur carrière s’est arrêtée à un moment. Aucun d’eux n’aurait dû connaître le chômage, et pourtant ça a été le cas. Leur carrière n’a pas eu la longévité escomptée. Nasri a pas mal souffert de blessures. Pour Ben Arfa, il y a une part de savoir-être car il est souvent parti de ses clubs en conflit, même si c’est un excellent coéquipier. Menez a eu une belle carrière en Italie qui ne résonne pas assez en France, son passage à Paris est de bonne facture mais après, il le reconnaît, il était moins bien, ce qui a amené à certains choix moins bons pour lui. Et là, il est mieux depuis qu’il est à la Reggina.
Un des aspects qui ressort dans le livre, c’est la volonté de plusieurs joueurs de cette génération de mettre en garde la jeunesse sur la réalité du milieu du football professionnel.
Ce sont les joueurs eux-mêmes qui ont amené ce discours préventif dans le livre. Pour l’anecdote, on s’envoyait des textos avec Rémy Riou il y a deux mois, il me remercie pour le livre et me dit : “J’espère que ça servira.” Jean-Christophe Cesto, Thomas Mangani, Steven Thicot, Serge Akakpo… tous m’ont dit avoir accepté de témoigner à condition que cette dimension ressorte, pour éduquer, apporter des clés de compréhension, et que les jeunes soient un peu mieux armés.
Quelle est l’histoire parmi toutes celles que tu as recueillies qui t’a le plus touché ?
J’ai bien aimé le discours terre à terre et lucide de Pierre Ducasse et Rémy Riou, mais je retiendrais l’histoire de Serge Akakpo, qui a vécu une tragédie. Je défie quiconque de ne pas être touché par son récit. Il y a celle de Jean-Christophe Cesto qui, lui aussi, a vécu un drame dans son adolescence. J’admire la force de Steven Thicot qui, malgré des galères et un rêve de Ligue des champions qu’il ne réalisera probablement jamais, a fait du foot son métier et est encore titulaire aujourd’hui après avoir joué dans plusieurs pays sur plusieurs continents. Je ne leur dirai jamais assez merci de s’être livrés à moi.