“Griezmann a éclaboussé cet Euro de sa classe” : on a débriefé la finale et le tournoi avec Arsène Wenger

“Griezmann a éclaboussé cet Euro de sa classe” : on a débriefé la finale et le tournoi avec Arsène Wenger

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Antoine Griezmann – Official Facebook

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Par Lucie Bacon

Publié le

Dernier volet de notre série de débriefs avec Arsène Wenger, cette fois consacré au bilan de la finale et plus largement du tournoi. Les clés de l’Équipe de France pour coach Wenger ? Très peu pour lui, il préfère laisser faire Deschamps. En revanche, Kanté à Arsenal, pourquoi pas… 


“C’est vrai qu’ils ont eu une possession de balle assez négative. À la fin du match, je regardais les statistiques, c’était 47% pour eux, 53% pour la France. Mais dans leur 47% de possession, il devait y avoir 95% dans leur moitié de terrain. Est-ce qu’ils voulaient juste gagner du temps ? Est-ce qu’ils ne pouvaient pas aller vers l’avant parce qu’ils n’avaient pas grand monde devant ? C’était un peu des deux sans doute, mais c’était un jeu qui n’allait pas vers l’avant du tout.
Au bout du compte, on revient à un axiome un peu stupide, qui est arrivé aux Allemands : ils ont bien joué contre nous, mais quand tu ne marques pas de but, tu ne peux pas gagner au football. Et c’est aussi ce qui est arrivé hier soir, c’est un axiome bête mais tellement vrai.”

“On pourrait plutôt dire l’inverse (rires). Umtiti a grandi au fur et à mesure des matches qu’il a joués. Il en a fait trois. Le premier était assez timide contre l’Islande, après contre l’Allemagne, et même contre le Portugal, je trouve qu’il a pris de l’assurance dans sa faculté à transpercer les lignes avec sa passe. Il a une bonne vision verticale. Je trouve qu’il a été un peu en difficulté quand Eder est rentré, parce que l’autre l’a obligé au combat physique, et il s’est un peu énervé en faisant des fautes. Et à partir de ce moment-là, il était un peu en difficulté.
Globalement, c’est allé mieux pour lui dans le tournoi quand il s’est mis à jouer verticalement, notamment contre l’Allemagne… 
Oui, il a les moyens de le faire. Moi quand je l’ai vu jouer contre l’Islande, je me demandais est-ce qu’il ne voit pas ou est-ce qu’il est prudent et il a peur de le faire de erreurs ?‘ On a pu voir après ses deuxième et troisième matches qu’en fait il voit très bien et qu’il était un peu inhibé sur le premier match.”

(Rires) Il est cruel hein ! Mais Sissoko, c’est vrai qu’il avait des jambes de feu ! À chaque fois qu’il prenait la ballon, c’est lui qui faisait la différence. Il a fait passer une horrible soirée à Guerreiro par contre. Je pense aussi que petit à petit, Sissoko s’est un peu trop épuisé dans son jeu qui demande énormément d’efforts. Rien de plus difficile que de partir balle au pied tout le temps. Mais c’est celui qui donnait le plus l’impression qu’il pouvait faire la différence dimanche soir. ”

“Au foot, il faut s’attendre à tout. C’est un peu l’inattendu qui est toujours au tournant. On aurait pu écrire le scénario du match, je pense qu’aucun de nous aurait dit ‘Ronaldo va sortir au bout de 20 minutes et le Portugal va gagner le championnat d’Europe’. C’est l’inattendu qui est arrivé. Lui finalement, il entre au Panthéon de son pays hier soir, puisque ça va être l’ultime star de son pays. Mais en fait il n’a pas contribué dimanche soir à cette victoire. Il y a encore plus fou : peut-être que si Ronaldo était resté sur le terrain, on aurait gagné, mais surtout, ce qui est presque sûr, c’est qu’Eder ne serait pas rentré. Donc on a été punis de façon extrêmement inattendue.”

“Non, on retiendra la douleur, que le match s’est joué à peu de choses. Les papillons par contre, pour avoir été au bord du terrain, je peux vous garantir que c’était incroyable. Mais ce n’est pas la seule chose qu’on retiendra quand même car je pense que c’était la clôture du championnat d’Europe qui finalement a été réussi pour nous, ça a créé une osmose entre l’équipe et les spectateurs. On craignait qu’il y ait un incident majeur pendant la compétition mais il n’y en a pas eu. Ça a démarré avec Angleterre – Russie, on s’est dit ‘qu’est-ce qui nous attend pendant tout le mois ?’. Finalement, ça s’est calmé très vite, ça s’est passé dans une bonne ambiance. Sur l’ensemble, c’est une fête positive quand même, même si elle se termine dans la tristesse.”

“C’est encore un des trucs bizarres du foot. Le résultat d’un match se juge après 90 minutes et le Portugal est un exemple bizarre, car ils sont venus ici avec l’idée de jouer, ils ont joué et n’ont pas gagné. Ils ont changé de philosophie en se disant ‘on donne le ballon à l’adversaire, on ne joue que pour défendre et on attend le bon moment pour gagner le match car on a Ronaldo’. Ça leur a souri, et ils ont trouvé une forme d’équilibre mais ils étaient quand même difficiles à battre car ils n’ont pas perdu pendant tout l’Euro, ils n’ont gagné qu’un match en 90 minutes. Ils ont une politique attentiste et ça leur a réussi, ça arrive parfois dans le foot. ”

“Je ne pense pas que Payet et Giroud aient été décevants pour les deux derniers matches, Giroud a été très bon contre l’Allemagne, Payet on a été assez dur avec lui sur les deux derniers matches. Sur l’ensemble, il ont fait un très bon tournoi.
Griezmann lui, c’est la star de l’équipe aujourd’hui. Je n’aime pas le mot, surtout que lui, il n’a pas de comportement de star. En fait, c’est ce que je respecte beaucoup chez lui, il fait beaucoup de travail collectif, il participe à tout, il défend, il attaque, il distribue le jeu, il est à la conclusion, dans la dernière passe. C’est le joueur numéro 1 du tournoi, il a éclaboussé cet Euro de sa classe. 6 buts, 3 passes décisives, il est impliqué sur 9 buts… En plus dimanche soir, il a deux têtes, c’est incroyable.
Oui, c’est incroyable toutes ces occasions qu’il se crée de la tête, alors qu’il n’est pas très grand… 
Il est tellement vif, tellement rapide dans sa prise de décision, il n’y a jamais de temps mort entre le moment où il donne le ballon et le moment où il enchaîne. Il n’y a jamais de temps mort quand il défend non plus. Ses transitions offensif/défensif ou défensif/offensif, c’est lumineux. Quand on est dans le foot, on admire ce genre de joueur.”

“C’est un peu le dilemme qu’a eu Deschamps. Il a enlevé Kanté contre l’Islande, derrière l’équipe a répondu avec une production convaincante. Quand tu es entraîneur, tu te dis ‘est-ce que je bouge ce qui a marché dans le match d’après ou pas ?’ Pour moi Kanté, avec Griezmann, a été la révélation de notre équipe. Mais Kanté a fait les frais de la réussite de l’équipe. C’est parfois à se demander si, quand tu sors de l’équipe, il faut souhaiter son succès puisque c’est toi le premier perdant au départ.
Il a été puni de façon imméritée par rapport à ses performances, mais Deschamps avait ce problème à résoudre : ‘est-ce que je laisse l’équipe qui marche ou je remets Kanté ?’ Je crois aussi que toutes ses décisions étaient justes parce que ça a marché contre l’Allemagne, et quand tu te qualifies en demie, c’est difficile après de changer pour la finale. Il a essayé de le rentrer dimanche soir, mais on était dans une position où il fallait mettre des attaquants et il n’a pas pu rentrer. Si on avait marqué, il serait rentré.
Vous avez joué contre Kanté en championnat, la saison dernière. Est-ce qu’il vous avait déjà impressionné ?
Oui. Quand tu es assis sur le banc d’en face, et que tu ressens la force d’un joueur, c’est toujours un signe de grande qualité. Je l’avais vu jouer, je l’avais trouvé bon, mais quand il a joué contre nous, je le voyais partout (il sourit). C’est là que j’ai pris conscience de sa force. Je me suis dit que c’était un joueur extraordinaire.
Avant, en France, il ne vous avait jamais marqué ?
Si, j’ai un copain à moi qui est dirigeant à Suresnes. Il a joué à Suresnes N’golo, avant Boulogne, donc il m’en avait parlé. Souvent, on te parle de joueurs et tu te dis ‘oui bon d’accord…’ Mais je suis Arsenal quoi, donc tu ne fais pas automatiquement le lien entre Boulogne et Arsenal au départ. C’était pareil avec Koscielny. Daniel Sanchez l’avait à Tours, il m’en avait parlé, mais Tours jouait en troisième division et dire que tu prends un joueur de Tours pour renforcer ta défense d’Arsenal, c’est pas évident !
Vous regrettez de pas avoir avoir écouté votre ami de Suresnes aujourd’hui ? 
Évidemment ! Je m’en voudrai jusqu’à la fin de mes jours… Mais d’un autre côté, on me propose tellement de joueurs que c’est difficile après quand certains réussissent au plus haut niveau.
Peut-être qu’il va finir à Arsenal, N’Golo…
Oui, oui… Il ne faut pas désespérer.”

“Autant j’étais confiant avant l’Allemagne, autant j’étais un peu confus et indécis par rapport au Portugal. Je me suis dit ‘on joue à domicile cette finale, on a déjà gagné deux fois à domicile’. Mais il y avait tout pour le piège. On joue un gros match contre l’Allemagne, tout le monde s’est dit plus ou moins consciemment ‘Ça y est on est Champions d’Europe, on a sorti le vainqueur de la Coupe du Monde, on joue à domicile contre le Portugal qu’on a toujours battu dans les matches décisifs, il ne peut plus rien nous arriver’. Donc il y a un contexte psychologique défavorable.
Après, on a beaucoup donné physiquement et mentalement contre l’Allemagne. Il faisait très chaud à Marseille. On est resté sur place, on est revenu le lendemain, il a fallu redéménager la veille de la finale de Clairefontaine pour aller à l’hôtel… (Il soupire) Ce n’était pas de tout repos, on était un peu entamés physiquement. Et puis on a quand même joué contre un pays qui a la culture du foot, qui peut tuer un match, qui peut t’endormir, qui a la technique nécessaire pour ne pas te rendre vite le ballon, donc tant qu’on ne mettait pas le premier but, tout pouvait arriver. Alors que nous a-t-il manqué ? Personnellement je pense un peu de maturité, parce que quand les Portugais ont marqué, on a senti que ça nous échappait quoi… Et on n’a pas eu de réaction suffisamment contrôlée, suffisamment maîtrisée pour revenir. Cette maturité qui donne de l’efficacité dans le jeu nous a manquée.”

(Rires) “Ne klaxonnez pas hein ! Même si vous êtes portugais, on ne vous en veut pas de klaxonner. Nous on est tristes, on ne dit rien mais ceux qui sont heureux font du bruit. Et même si vous n’êtes pas Portugais et que vous soutenez le Portugal, je comprends que vous klaxonniez.”

“Je crois. Notre équipe est jeune, elle est au début d’un cycle, et Deschamps aura pris beaucoup d’enseignements. Je crois que l’équipe a dégagé quelque chose. Et le premier travail que Deschamps a réussi, c’est créer un groupe qui a de nouveau une osmose avec le public, ils ont fait des trucs super, j’ai senti que tous les joueurs étaient intelligents, condition indispensable pour construire quelque chose. Je crois que Didier Deschamps a établi une bonne base et que l’équipe peut vraiment envisager le futur avec optimisme.
Il y aura quelques décisions difficiles à prendre, parce qu’il se posera le problème du retour de Benzema, se posera aussi le problème de Ben Arfa sans doute, parce qu’il est maintenant au PSG donc il va être encore plus exposé et médiatisé. Ce sont des joueurs stars, donc est-ce qu’il va privilégier l’unité du groupe, confirmer les choix qu’il a faits pour cet Euro ? Il faut lui laisser un peu de temps pour laisser décanter tout ça et prendre les décisions en septembre.
Justement, selon vous, est-ce qu’avec des joueurs comme Ben Arfa et Benzema, l’issue de cet Euro aurait été différente ?
Ça aurait aussi pu aller plus mal ! Donc je ne connais pas assez le foot pour prédire tout ce qui aurait pu se passer. D’une façon générale, plus tu as de talents, plus tu as de chance de réussir. Mais il faut que les talents se mettent au service de l’équipe, et qu’il y ait une unité dans l’équipe pour être efficace sur un plan collectif.
Le cas Benzema était un peu spécial, je pense que Deschamps l’a éliminé car son cas n’était pas tranché juridiquement, il a eu peur que ça empeste les conférences de presse et l’unité du groupe pendant le championnat d’Europe. Pour Ben Arfa, je pense qu’il s’est dit ‘dans ma tête il n’est pas titulaire, est-ce qu’il va être capable d’être un remplaçant motivé pendant tout l’Euro?‘ On va voir aussi comment Ben Arfa s’impose au PSG, s’il s’impose brillamment, je pense que Deschamps le prendra.”

“Non mais je laisse faire Didier Deschamps. Il a fait un bon boulot, maintenant faut qu’il nous le finisse ! Il a fait une Coupe du monde, où on a fait un petit bout de chemin qui était positif. Il a fait un championnat d’Europe, on est allé en finale. Laissons-le faire une autre Coupe du monde, et qu’il nous la ramène !”

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